Une grande envie de naturel
Difficile de passer à côté de cette petite révolution, visible (beaucoup) dans les publicités, les magazines, les défilés, sur les people, ces dernières saisons, et (un peu) dans la rue : la femme noire s’émancipe des Diktats capillaires qui lui ont longtemps été imposés. Et la femme blanche… aussi. En gros, c’est la texture cheveu, dans toute sa diversité, qui a de nouveau droit de cité, du mouvement le plus léger, ondulé, à la coupe afro bien assumée, tendance nappy, en passant par toutes les nuances de boucles et de frisures.
La tendance « wavy », ces dernières années, avait bien préparé le terrain, en commençant à nous familiariser, esthétiquement, avec des visuels plus souples. Même si, on le sait, ces douces vagues résultent le plus souvent d’un coiffage faussement naturel et réellement travaillé, produits et outils de coiffage à l’appui - avec les sprays à l’eau de mer, notamment, pour cultiver les fameux looks sortie de plage, les poudres texturisantes, les fers à boucler etc.
Visuel : Eric Léturgie © D.R.
Les textures s'assument de nouveau
Peu importe : l’essentiel est que la fibre puisse de nouveau vivre, bouger, reprendre du volume, et que la texture s’assume de nouveau. Ce n’est qu’un juste retour des choses et, surtout, à la réalité : le cheveu raide n’existe que très rarement à l’état naturel - hormis sur les cheveux asiatiques. Pourquoi alors les femmes se sont-elles escrimées, pendant des décennies, à lisser leurs cheveux, à les défriser, au prix parfois de catastrophes ? Pour des questions de « tendances », bien commodes pour masquer le refus du naturel, de l’authenticité, de la diversité, de la différence, qui était alors celui de toute la société.
Des tendances qui traduisaient un goût certain pour le contrôle, la norme et la standardisation et, finalement, un soupçon de racisme inavoué : souvenons-nous de l’armée de femmes aux cheveux lisses qui paradait dans les années 90 et 2000 ! C’était un peu : « Cachez cette frisure que je ne saurais voir ! Aplatissez-moi ce volume qui trahit trop votre différence ! »
Même si cela prend du temps, et que rien n’est gagné, les choses évoluent enfin. Y auront sans doute contribué toutes ces anonymes, actrices ou mannequins qui ont décidé, ces dernières années, de garder leurs boucles, d’arborer des coupes afro ou des cheveux blancs ou gris… Ce qui fait que les coiffeurs doivent aussi s’adapter, même si certains avaient un peu précédé le mouvement.
Visuel : Sarah Pavlovski © Stephan Deneuvelaere (voir aussi la rubrique Tendances 2020)
Sublimer plutôt que transformer
Comme Sarah Pavlovski, formatrice pour Cyléa, elle-même métisse et confrontée au problème du coiffage de ses cheveux depuis sa plus tendre enfance. « Quand j’ai commencé à proposer de la boucle et du cheveu nappy en formation il y a 5 ou 6 ans, ça a été un flop total, se rappelle-t-elle. C’était un peu tôt pour le marché français. Mais depuis des années, je suis convaincue que la boucle va revenir. Pour moi, les cheveux sont beaux au naturel, et le travail du coiffeur, sauf demande très claire de transformation, c’est de les sublimer, d’accompagner les femmes. Beaucoup de mes clientes se lissaient les cheveux simplement parce qu’elles ne savaient pas faire autrement ! Elles ne savaient pas les coiffer, et les coiffeurs non plus. »
Même credo chez Medley : « L’authenticité et la diversité font partie de l’ADN de la marque depuis l’origine, souligne ainsi Gabin Ahmed, directeur artistique du groupe et responsable de l’Académie. Nous avons développé une méthode de coupe qui permet de révéler le cheveu naturel, qu’il soit raide, bouclé ou afro. C’est vrai que notre méthodologie est très précise et rigoureuse, et que nous avons souvent montré des coupes très graphiques, d’inspiration anglo-saxonne, des lignes nettes, voire dures.
Mais les visuels dépendent des tendances, pas de la méthode de coupe, et ça fait déjà 4 ou 5 ans que nous avons commencé à montrer de la boucle et du cheveu afro. En France, il y a beaucoup de métissage, mais on avait jusqu’ici tendance à ‘’s’européaniser’’ avec un côté raide baguette. Le comble, c’est que les clientes qui voulaient lisser leurs cheveux voulaient aussi du volume. On a commencé à leur expliquer qu’il fallait aller vers plus de naturel. »
Visuel : Medley © Stéphane de Bourgies (voir aussi la rubrique Tendances 2020)
"Eduquer" les clientes...
Comme le précise Sarah, il faut aussi faire un travail d’éducation des clientes, souvent conditionnées, comme elle-même, par des décennies d’interrogations et d’ignorance. « Il y a 20 ans, quand on avait mon type de cheveu, on avait soit les cheveux très courts, comme un garçon, soit les cheveux lisses. Pour moi, la coupe courte, c’est un traumatisme d’enfance. »
Mais puisqu’aujourd’hui les femmes peuvent enfin commencer à assumer leur texture de cheveux naturelle, autant ne pas transmettre de mauvais réflexes et de mauvais messages : « Si on me demande un lissage, je discute pour en connaître la raison. Récemment, j’ai refusé de faire un lissage à une petite fille amenée par sa maman. Parce que c’est lui faire passer le message, très jeune, que ses cheveux ne sont pas beaux au naturel.
Si on pousse cette logique, cela fait des personnes qui ne peuvent pas sortir sans être maquillées, qui ne supportent pas une goutte de pluie sur leur brushing… je n’ai pas envie de véhiculer ça. » Sarah a intégré un cercle de réflexion sur le féminin, qui a pour objectif « d’être en accord avec soi-même, son corps, ses cheveux, de travailler sur ce que c’est que d’être femme, aujourd’hui. » Elle en fait bénéficier ses clientes…
Visuel : Viva la Vie © Jules Egger (voir aussi la rubrique Tendances 2020)
...et changer les mots
Chez Medley, Gabin note aussi que l’évolution se traduit dans les mots, et dans la grille des tarifs, qui ne mentionne plus « Shampooing-coupe-brushing », mais « Shampooing-coupe-séchage » : « L’idée, c’est de valoriser une coupe facile à vivre, des cheveux plus naturels, que la cliente puisse re-coiffer seule. On lui explique donc comment se les sécher. C’est du coiffage, plus du brushing. »
La révolution semble en marche et, une fois qu’on a goûté à la liberté, il est difficile de ré-apprendre la contrainte... Sauf bien sûr, ponctuellement, pour le plaisir de la transformation, par goût du changement, de la fantaisie et de la mode : car une femme qui s’assume a bien entendu aussi le droit de s’autoriser des looks plus « fabriqués », pourvu que ce soit elle qui le décide, et pas la société !