Raffel Pages : de Barcelone aux étoiles...
C’est un nouveau choc. Le grand coiffeur catalan Raffel Pages s’est envolé ce dimanche 9 mai, à Barcelone, à 78 ans. A la tête du groupe de coiffure qui portait son nom (80 salons en Espagne, 300 collaborateurs), mais aussi d’une académie de formation d’abord réservée à ses équipes, et désormais ouverte à tous les professionnels, le Raffel Pages Improvement Institute, c’était un homme passionné, généreux, débordant de curiosité, qui avait aussi créé le musée d’histoire de la coiffure le plus important au monde.
Très présent sur les réseaux sociaux, il était encore en pleine forme il y a quelques jours et postait des photos d’un de ses derniers déjeuners ensoleillés avec ses amis. Excessivement chaleureux, dans le partage, il suivait tout avec une extrême attention - y compris Brunette -, beaucoup d’empathie et une grande ouverture d’esprit. Je ne l’avais croisé que quelques fois, mais les échanges avec lui étaient toujours intenses. On s’était ratés de peu à Londres, en octobre 2019, pour la remise de son trophée d’honneur, le Hair Legend Award, à l’Alternative Hair Show.
Aux côtés de Roberto Pissimiglia, Anthony Mascolo, Tony Rizzo et Sergi Bancells au dernier Alternative Hair Show, à Londres, le 6 octobre 2019, pour la remise de son Hair Legend Award © Alex Barron-Hough
D’une grande réactivité, il m’avait récemment envoyé des photos que je n’avais pas encore eu le temps de publier. Pour moi, il était éternel avec son âme d’enfant et ses yeux pétillants. Comment imaginer un instant qu'il puisse vraiment vieillir, et surtout, mourir, avant une bonne vingtaine d'années ?
Des projets pleins la tête
Lui qui débordait de projets, son musée de la coiffure, bien sûr, son prochain partenariat avec le musée des Arts Décoratifs de Paris pour une expo inédite, son 3ème livre en cours d’écriture avec Sergi Bancells, consacré à ses Mémoires, ses collections qu’il continuait de livrer avec autant d’enthousiasme et de ferveur…
Raffel Pages dans son musée de l'histoire de la coiffure © D.R.
C’était en quelque sorte un chevalier de la coiffure, toujours au service de cette belle profession, toujours prompt à la défendre et à révéler, transmettre toute sa richesse, que ce soit à travers la formation des coiffeurs ou à travers son étonnant musée, à Barcelone, constitué autour de 11 000 pièces, dont 800 exposées en permanence (peignes anciens, miroirs romains, chinois, premiers appareils de séchage ou de permanente, œuvres d’art de Goya, Picasso et Cocteau, magazines professionnels, mèches de cheveux de Dali, Napoléon et des Beatles…), mais aussi d’une bibliothèque de plus de 2000 ouvrages, dont certains inestimables.
"Apprendre, toujours apprendre"
Il avait re-publié le 14 avril dernier, sur Facebook, un texte écrit il y a 10 ans sur sa passion de collectionneur, dont je reproduis des extraits dans l’encadré ci-dessous : à travers son immense travail de regroupement de pièces anciennes liées à la coiffure, c’était tout le secteur à qui il souhaitait redonner ses lettres de noblesse, rappelant au passage toute l’importance des coiffeurs dans l’histoire.
Raffel Pages © D.R.
A travers la formation, pilier du développement professionnel et personnel, pour lui, au travers de la culture, aussi, il martelait : « Il faut apprendre tout au long de la vie. J'apprends encore et je continuerai à le faire jusqu'à la fin de mes jours. »
De multiples talents
C’est à Paris, dans les années 60, que Raffel Pages avait commencé à « apprendre » la coiffure, et auprès de la plus grande : Rosy Carita. Il avait ensuite ouvert son premier salon en 1975 au 16, Reina Street, à Barcelone, avant de lancer, en 1992, son grand projet de centre de formation. Ce sont aujourd’hui ses filles, Carolina et Quionia Pages qui prennent la suite, à la tête de son entreprise.
Raffel Pages © D.R.
Lui s’est toujours considéré davantage comme un « créateur d’image que comme un coiffeur », ce qui reflétait parfaitement son ouverture d’esprit, ses multiples talents et son envie de toucher à tous ce qui avait trait à la beauté et à la créativité (coiffure mais aussi peinture, sculpture, écriture…), et c’est sans doute cela qui me touche infiniment et m’a toujours parlé : pour (re)valoriser la coiffure, encore faut-il la réinscrire dans un contexte global d’histoire, d’art et de mode.
Précurseur de la « coiffure émotionnelle », celle qui se fait non seulement avec les mains, mais aussi avec les sens et les émotions de chacun, il avait réussi la synthèse entre la grande tradition des sœurs Carita, d’Alexandre ou Antoine de Paris et la modernité. C’est encore un grand coiffeur qui nous abandonne. Et un être adorable…
Réflexions d'un collectionneur