Réouverture : urgences et tendances capillaires
Comme prévu, côté coiffure à strictement parler, l’essentiel des prestations, pour la couleur, s’est porté sur le travail de racines et de dissimulation des cheveux blancs. Et, pour la coupe, sur de l’entretien. Après deux mois de confinement, mais parfois trois mois, ou plus, sans voir de coiffeur, il fallait en effet se concentrer sur les priorités.
Avec une bonne surprise côté clientes : de l’aveu des coiffeurs interrogés, elles ont été plus que raisonnables question colorations et coupes maison. Peut-être le message « Ne touchez à rien ! », martelé avec force par les coiffeurs sur les réseaux sociaux, a-t-il fini par être entendu ?
Très peu de catastrophes
« Je m’attendais au pire : pour certaines, ça faisait trois mois que je ne les avais pas vues, souligne Cathy Batit, à la tête, avec son mari, du salon Franck Batit à Firminy, dans la Loire. Mais, en deux semaines, je n’ai eu aucune catastrophe. » Même constat pour Jérôme Guézou, à la tête du salon Angel Studio (Paris 17ème) avec Sébastien Bafcop, qui n’a eu a déplorer, après 15 jours de déconfinement, qu’un seul dérapage.
Un visuel de la collection "Night & Day" d'Angel Studio © Thomas Braut (voir aussi la section Tendances)
Mais c'était un beau ratage : « J’ai une cliente qui a voulu s’occuper de sa coupe courte : elle s’est massacrée… » Sinon, rien, pas même en coloration. « Beaucoup de mes clientes ont utilisé des sprays maquillants pour cacher les racines, en revanche. » Et de préciser, malicieux : « J’ai une clientèle intelligente. Ou bien éduquée… »
Des racines parfois très longues
Au rayon des surprises, des racines parfois beaucoup, beaucoup plus longues que prévu… « J’ai eu des méga racines de 6 ou 7 cm pour les blonds polaires, note Aline Legoupil, à la tête de deux salons Atmosph’hair, dans le centre-ville de Caen. J’avais bien pensé au travail sur les blonds polaires, mais pas aux clientes qui étaient venues pour la dernière fois… un mois avant le confinement !
On s’est retrouvé avec des prestations qui prenaient deux fois plus de temps que d’habitude, car il fallait réaliser deux décolorations : une pour les racines, une pour les longueurs intermédiaires. Je ne l’avais pas anticipé ! » On lui demande aussi d’atténuer les futurs effets racines, en éclaircissant un peu les couleurs foncées, pour éviter de trop fortes démarcations : « Tout le monde avait peur d’un éventuel re-confinement ! »
Un visuel de la collection "Reborn 7.0" d'Aline Legoupil (2019) © Weronika Kosinska
Une tendance cheveux blancs… et gris
Cathy Batit, elle, a constaté que certaines laissaient désormais leurs cheveux blancs apparaître : « Dans ce cas-là, on les accompagne de coupes plus courtes qu’avant, plus structurées. On commençait déjà à remarquer cette tendance avant le confinement, mais là, le mouvement est plus marqué. »
Assumer complètement ses cheveux blancs, et en faire quelque chose de féminin, moderne : le mouvement initié - entre autres – par la journaliste de mode Sophie Fontanel, en 2017, pourrait bien revenir encore plus fort, les femmes pouvant capitaliser sur une repousse ingrate rendue possible par le gel complet des rapports sociaux ces derniers mois : le plus dur a été fait !
La journaliste de mode et égérie des cheveux blancs Sophie Fontanel © D.R.
Elle note aussi quelques changements radicaux, et des demandes de gris « …alors qu’il n’y a pas de cheveux blancs ! Ce sont des brunes naturelles qui ont voulu passer au gris, cela demande minimum 4 heures de travail. »
Jouer les effets sophistiqués
Mais globalement, « la première demande, ce sont les racines, les balayages et les ombrés, résume Jérôme Guézou. Les femmes veulent se sentir belles et fraîches ». « Les balayages, ça y va ! », confirme aussi William Lepec, à la tête de deux salons W à Paris et à Stains, en Seine-Saint-Denis. L’occasion de proposer des résultats qui en jettent, en misant sur les effets sophistiqués et/ou subtils, gloss et autres patines : « Je le fais systématiquement, confirme Aline Legoupil. Chez nous, il n’y a pas un blond sans patine ou gloss ! »
Un visuel de la collection Sarah de William Lepec © Patrice Guyard
Une envie de longueurs
Concernant la coupe, tous les coiffeurs le constatent : une partie des femmes – comme des hommes - ont passé des « caps fatidiques », côté longueurs, pendant le confinement. « Certaines de mes clientes, qui avaient les cheveux plutôt courts, passent au plus long, affirme Cathy Batit. Pas toutes, ce n’est pas la majorité ! Je dirais un quart de celles qui avaient des coupes courtes ont tendance à les laisser pousser. »
Même chose chez Angel Studio, dans des proportions plus marquées : « Au moins la moitié de nos clientes qui portaient les cheveux courts ont envie d’essayer de tirer parti de cette nouvelle longueur. » Chez Atmosph’hair, on accompagne ces clientes qui veulent jouer davantage la longueur vers « des carrés courts à mi-longs, des coupes boules… » Partout, on le constate, on travaille « des coupes qui vieillissent bien, qui peuvent durer. »
Un visuel de la collection "Re-Birth" de Cathy Batit, qui illustre aussi l'ouverture de l'article © Stéphane de Bourgies (voir aussi la section Tendances)
Appelée « coupe mémorielle », ou « coupe à mémoire de forme », chez W, ces coupes qui associent efficacité et confort, dans la durée, permettent aussi de laisser de la place à de nouveaux clients. Et, alors que la plupart des salons admettent que « l’heure n’est pas aux grosses transformations » (on gère les urgences, on absorbe le flux de clientèle), William Lepec constate, lui, chez ses nouveaux clients, justement, « une envie de changement, une envie de se faire plaisir ». « Des demandes de transformation, on en a un peu, chez les plus jeunes », nuance pour sa part Jérôme Guézou.
Les hommes en plein questionnement
Mais le véritable changement vient peut-être des hommes, chez qui la tendance du dégradé américain va peut-être être mise à mal – ou pas tant que ça, on verra ! – par la repousse des longueurs, pendant ces deux mois de confinement. C’est une coupe qui nécessite un entretien très régulier, idéalement toutes les 3 semaines et, qui, donc, booste la fréquentation. Pas étonnant que les hommes se soient rués chez les barbiers ou les coiffeurs mixtes, dès la reprise.
« Ils ont un taux de fréquentation plus élevé que les femmes. A la reprise, ils étaient plus nombreux, plus visibles, c’était flagrant », précise William Lepec. Dans les deux salons Guillaume Fort pour l’Homme, « on a ouvert 5 carnets de rendez-vous au lieu de 3, habituellement ». Guillaume, pour satisfaire sa clientèle, a parfois travaillé jusqu’à 22h, 23h, les premières semaines de la reprise.
Un visuel de la collection "Gamble", par Guillaume Fort (2019) © D.R.
Surtout, salons mixtes et coiffeurs homme l’ont constaté, les hommes, eux aussi, ont passé ces fameux « caps fatidiques », en termes de longueurs. Ces repousses pas belles à voir, pas cohérentes avec la coupe mais, précisément… ils ne voyaient personne. Et ils n’avaient pas le choix. Enfin… presque !
Car, alors que les femmes se sont avérées plutôt raisonnables, contre toute attente, Guillaume Fort a, lui, noté quelques catastrophes, au niveau de la coupe, chez ses clients : « Quelques-uns se sont fait couper les cheveux par leur femme… Mais j’ai réussi à les récupérer », glisse-t-il, dans un sourire.
...et en pleine redécouverte
Une partie d’entre eux souhaite désormais faire quelque chose de ces longueurs, notamment celles du dessus. Chez Guillaume Fort, « on les oriente vers un nouveau coiffage ». Chez Angel Studio, comme dans pas mal de salons, « on profite de cette longueur pour leur proposer quelque chose d’esthétique, propre ». Chez W, « il y a ceux qui restent sur le côté clean du dégradé américain, et ceux qui acceptent de jouer avec leurs longueurs, précise William Lepec. Certains n’y pensaient pas, je le leur ai proposé… »
D’autres, comme chez Guillaume Fort, avaient déjà opté pour les cheveux longs avant le confinement, et s’y tiennent. Enfin, « certains redécouvrent leurs cheveux frisés… et les gardent », précise le barbier. Coupes bien courtes, cheveux longs, bouclés : plus que jamais, l’homme affirme sa liberté face aux tendances.
Dernier phénomène de mode en date, le fondu américain est toujours là, et conservera probablement son statut de nouveau classique et ses aficionados, mais les hommes, forcés par le contexte, semblent aussi retrouver le plaisir de la matière cheveu. Et tous, hommes et femmes, ont repris fissa rendez-vous, pour dans 3 semaines ou un mois et demi, selon les besoins. Ce qui est une nouvelle - très bonne - habitude, et un réflexe que les coiffeurs n’avaient peut-être pas tous anticipé… Rendez-vous début juin pour un nouveau rush ?
Voir aussi Réouverture : les coulisses de l'exploit