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Le grand retour de la coupe?

Notre Miss France 2024, alias Eve Gilles, avait été l’événement de la toute fin 2023 et de janvier 2024. Un engouement encore plus fort pour les Miss, cette année ? Pas forcément… C’est surtout sa coupe garçonne qui avait fait le buzz. Car c’était la toute première fois qu’une jeune femme remportait le concours de beauté sans l’aide d’une chevelure opulente et glamour. Mais « seulement » grâce à un petit minois coiffée d’une pixie, un corps menu, du charme et de la confiance en soi. (A lire aussi : Saint Algue x Miss France 2024)

 

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Miss France 2024, alias Eve Gilles © Laurent Benhamou / SIPA

 

Une vraie révolution, même si ce n’était pas la première à subir les regards souvent moqueurs, parfois enthousiastes, de l’opinion publique du fait de… ses cheveux. Les Miss métisses, ou aux cheveux crépus, ou rousses, ont également eu leur lot de commentaires intolérants voire injurieux. On le sait, les cheveux cristallisent l’identité, et parfois des réflexes de rejet archaïques. Mais ceci est un autre sujet…

Des signaux positifs chez les people

Sur le plan des tendances, cette Eve-là renvoyait aussi un message fort. Pour nombre de commentateurs et de magazines, c’était le signal du « grand retour de court ». Une autre personnalité, l’influenceuse Caroline Receveur (5,5 millions d’abonnés sur Instagram), après son cancer du sein, avait choisi en début d’année d’assumer avec panache sa tête rasée, puis ses cheveux ultra courts, façon buzz cut. En ce début d’été, elle arbore toujours sa jolie pixie, en version platine, et semble comme allégée, et révélée à elle-même, avec ce nouveau look. Il y a encore un an ou deux, elle aurait probablement assez vite misé sur les extensions ou une perruque après quelques semaines de court, sonnant la fin du « jeu » capillaire (car elle a aussi porté sa pixie en version rose bonbon). Cette fois, elle semble avoir vraiment adopté l’ultra court…

 

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Photo issue du compte Instagram de Caroline Receveur © Kenza Le Bas 

 

En réalité, les choses sont sans doute un peu plus nuancées que ces signaux lancés par quelques VIP. D’une part, la coupe ultra courte, comme nombre de femmes en portent depuis toujours, est d’abord et surtout le signe extérieur d’une affirmation de soi décomplexée. Une affirmation de soi et de ses différences qui, on le sait, est le grand leitmotiv de ces dernières années, repris à grand renfort de pubs et de messages marketing. La société a tellement évolué que ce message majeur est enfin arrivé jusqu’au concours de Miss France, avec ses codes longtemps figés. Et même jusqu’à certaines influenceuses, pourtant plutôt enclines à jouer l’ultra féminité, en général, et l’hyper sexualisation de la silhouette, longue et ondoyante chevelure comprise. On ne peut que s’en réjouir.

Une tendance de fond

D’autre part, le retour des coupes courtes est certes une réalité, mais là aussi, cela fait quelques années que ce mouvement est en cours. Dès janvier 2020, pour le lancement du média Brunette, j’avais ainsi publié un sujet intitulé « Le carré, plus que jamais », pour signaler le grand retour de cette coupe courte intemporelle, à « l’énorme potentiel de personnalisation ». Puis, en janvier 2021, j’avais proposé une enquête sur… le grand retour du court. La tendance est en effet à l’œuvre depuis quelques années déjà, passant alors par la pixie de Jennifer Lopez, comme elle passe aujourd’hui par la coupe garçonne de Miss France ou le petit carré de la chanteuse Angèle, par exemple. Or, le court, c’est le travail de coupe. Et cette tendance est toujours un bon signal pour les coiffeurs…

Il est aujourd’hui indispensable de se ‘’sur-former’’ en coupe. Car demain, il va nous manquer des coupeurs. (Stéphane Amaru)

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Collection de Stéphane Amaru générée avec l'intelligence artificielle © D.R. 

 

Avec le ton provocateur qu’on lui connaît, Stéphane Amaru l’a ainsi martelé, sur la scène du dernier Festival Métamorphose, à Béziers, en mai. « Il est aujourd’hui indispensable de se ‘’sur-former’’ en coupe. Car demain, il va nous manquer des coupeurs. Or la coupe, c’est un des services les plus rentables en salon. Si vous fixez le bon prix, bien sûr. » Et d’enfoncer le clou : « Il ne faut pas avoir peur d’être super entraîné, et donc super passionné, parce que si vous proposez seulement un bon travail, ça ne suffira pas ! »

Un déficit de « coupeurs » ?

Et pourquoi nous manquerait-il des coupeurs ? Eh bien, parce que les coiffeurs, au vu de la très forte tendance coloration et balayage des 10 dernières années, ont tous fini par se former, et par atteindre, globalement, un bon niveau technique. Au détriment, parfois, de la coupe, peu demandée en parallèle. « On sent que les clientes reviennent à la coupe, note ainsi Hovig Etoyan (Paris 6ème). Un salon proposant un bon service de balayage, c’est aujourd’hui assez facile à trouver, alors qu’avant, c’était une niche. Le niveau s’est élevé. » Du coup, c’est un peu l’inverse qui se produit, quand on veut changer de tête : on cherche de bons « coupeurs » !

Aujourd'hui, il y a une plus grande ouverture d’esprit, c’est moins ‘’stigmatisant’’ de se couper les cheveux courts. (Gabin Ahmed)

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Medley Academy printemps-été 2024 © Grégory Tauziac

 

Chez Medley Rive Droite (Paris 4ème), on sait que les femmes viennent beaucoup pour la coupe, tendance « court » ou non. Gabin Ahmed le confirme : « Chez nous, 80% des femmes qui ont les cheveux longs veulent passer au court. Quand elles évoquent leur envie, le coiffeur les freine, en général… » Alors, elles viennent chez Medley. « Aujourd’hui, on ressent une envie de court plus forte. Avant, il y avait une sorte de réserve. On n’utilisait pas trop la formule ‘’ coupe garçonne’’, on craignait le regard de l’autre. Maintenant, il y a une plus grande ouverture d’esprit, c’est moins ‘’stigmatisant’’ de se couper les cheveux courts. Mais on préfère parler de pixie cut, et évoquer la coupe d’un point de vue technique essentiellement. La question de la sexualisation d’un look est taboue chez les LGBT+, notamment. »

Bob, butterfly, shag et mélange des genres

Alors, dans sa clientèle fan de coupe, que demande-t-on ? « On demande de tout. Des coupes pixie, un peu de mulet, dans sa version soft. C’est plus une ‘’sensation’’ de mulet que la cliente souhaite, avec un peu de longueur dans la nuque. Et beaucoup, beaucoup de carrés. Et de coupes butterfly, très dégradées sur la partie avant, en gardant bien l’épaisseur sur la parte arrière. » Et de résumer : « On est vraiment sur une envie de douceur. Les lignes extérieures d’un carré ne seront pas trop dures, pas trop nettes - contrairement aux lignes internes. On veut un visuel soft, un peu plus dégradé, plus géométrique que graphique. » En tant que formateur, Gabin confirme aussi le regain d’intérêt des coiffeurs pour les stages de coupe. Ce qui commence aussi à se voir davantage dans l’offre des marques professionnelles.

 

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Coiffure issue du compte Instagram du salon Hovig Etoyan Paris © D.R

 

Dans les deux salons d’Hovig Etoyan (Paris 6ème), le carré reste aussi un classique de la demande : « C’est la coupe courte par excellence, une valeur sûre ». Quelles que soient les modes capillaires, le carré est toujours là, aujourd’hui plutôt « entre dégradé et butterfly ». Tout est question d’adaptation et de personnalisation. La coupe butterfly et le shag sont bien présents également, souvent « mixés », d’ailleurs. Tandis qu’en ce qui concerne l’ultra court, « de plus en plus de clientes en demandent. Et celles qui ont déjà les cheveux courts, elles, elles s’éclatent, et veulent essayer d’autres choses… Quant à celles qui ont déjà une frange, et qui veulent garder leurs longueurs pour l'été, elles passent à la frange courte, voire très courte. » Enfin le néo-mulet « se fait très rarement sur cheveux longs, mais plutôt sur du court ou du mi-long » : on évite évidemment l’effet premier degré et footballeur est-allemand des années 80… « C’est aussi une étape entre mi-long et court, on garde la sécurité de la longueur… »

Une tendance plus générationnelle

Tous les salons vivent-ils ce regain d’intérêt pour les coupes un peu plus marquées, jusqu’au court ? Difficile de le savoir vraiment… Mais certains constats sont partagés, comme l’attrait réel, depuis un petit moment, pour les coupes shaggy, butterfly ou wolf, les mélanges de coupes, l’influence 70’ qui se traduit par l’envie de dégradés bien prononcés, tout en gardant de la longueur. A La Suite 52, à Bordeaux, Céline Antunes assure que, chez elle, le renouveau de la coupe reflète plus un mouvement générationnel qu’une réelle tendance, comme on pouvait en voir il y a 20 ou même encore 10 ans. « Il y a eu le carré plongeant, sous l’influence des Spice Girls et de Victoria Beckham dans les années 2000, les dégradés émo dans les mêmes années, se rappelle-t-elle. Il s’agissait vraiment de tendances, qui touchaient les femmes de 18 à 50 ans.

 

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Une coupe récente en salon, par Céline Antunes © D.R.

 

Aujourd’hui les jeunes femmes veulent garder leurs longueurs, et ne veulent surtout pas avoir la même coupe que leur mère. Elles sont très influencées par les réseaux sociaux pour ce qui concerne la couleur, les balayages, il y a beaucoup de choix, et elles sont beaucoup plus prêtes à oser dans ce domaine que pour la coupe. Les cheveux très courts de Caroline Receveur, elles trouvent ça très beau, mais, dans leur grande majorité, elles ne franchiraient pas le cap. Au maximum, elles opteront pour une frange rideau, premier pas, peut-être, vers un shaggy… » Et de poursuivre : « Ce sont plutôt les trentenaires et quarantenaires qui osent couper leurs cheveux, selon les grandes étapes de leur vie personnelle, professionnelle… Elles assument mieux une féminité différente, qui ne passe pas forcément par la longueur des cheveux. Façon Audrey Tautou. Elles changent d’image et d’univers. »

Du soin à la coupe

Selon les femmes, les raisons de couper sont différentes. Pour beaucoup d'entre elles, comme dans les salons d’Hovig Etoyan, c’est l’intérêt croissant des clientes pour le soin qui les fait revenir à la coupe. « Les femmes ont fait beaucoup de balayages. Elles font plus attention à leurs cheveux qu’avant. Elles ne veulent pas de cheveux abîmés. Si une cliente a les cheveux longs et qu’on lui dit : ‘’ Tes cheveux sont sensibilisés, ce n’est pas 2 cm qu’il faudra couper, mais 5 à 7 cm ; ‘’, elle sera moins réticente qu’avant, et répondra : ‘’ ok, fais le nécessaire pour qu’ils soient plus beaux alors.’’ » Avec les clientes averties, il peut se permettre un entretien plus régulier et plus de coupes. « Les clientes venaient 1 à 2 fois par an pour se faire couper les cheveux. Aujourd’hui, c’est plutôt 3 ou 4 fois par an. Ça prend une bonne tournure pour les coiffeurs. On commence à être appréciés pour notre travail de conseil. C’est comme si on avait enfin réussi à ‘’éduquer’’ nos clientes. Le message du soin et de la coupe passe mieux. »

Les clientes sont moins réticentes qu’avant, elles acceptent l'idée de couper les longueurs pour avoir de plus beaux cheveux. (Hovig Etoyan)

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Coiffure issue du compte Instagram du salon Hovig Etoyan Paris © D.R

 

Et de préciser : « Depuis des années, on parle de consultation. Certaines études mettent en avant que pour 70% des clientes, les coiffeurs n’en font pas. Alors que la même proportion de coiffeurs pense l’inverse ! » Hovig touche ainsi un point sensible, et un enchaînement vertueux : diagnostic/ consultation, préconisation de soin et de coupe si nécessaire, belle matière cheveu, satisfaction. « Si la cliente passe un bon moment, qu’elle a vu que son coiffeur faisait bien son travail, et qu’elle obtient de bons résultats, c’est un lien de confiance qui se crée : tu as ‘’gagné’’ ta cliente, ses visites et l'entretien de sa coupe tout au long de l’année. »

Les coiffeurs de plus en plus incontournables ?

Bref, les femmes s’amusent et gagnent en légèreté, à tous points de vue. Tout en prenant conscience de la qualité de conseil de leur coiffeur. Les réseaux sociaux, il faut bien le reconnaître, ont aussi joué un rôle positif dans cette reconnaissance, les professionnels n’hésitant plus non seulement à publier leur travail, et ainsi à le valoriser, mais également à se donner conseils et petits tuyaux entre eux, notamment sur le diagnostic, le soin, la texture du cheveu. Après la fameuse jalousie entre coiffeurs, l’ère de la stimulation constructive ? « Je pense que dans les années à venir, nous allons passer un nouveau cap dans la profession. Et que l’on va vraiment pouvoir être fier d’être coiffeur, déclare ainsi Hovig Etoyan.

Les jeunes ont un niveau très élevé en couleur, je pense qu’on va rejoindre ce niveau en coupe. On va avoir de très belles années devant nous. (Céline Antunes)

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Une coupe récente en salon, par Céline Antunes © D.R.

 

Céline Antunes abonde : « Il y a de très bons coupeurs dans les salons, mais ils ont plus de 35 - 40 ans. Beaucoup de bons coupeurs sont partis chez les barbiers. Les plus jeunes, eux, sont très forts en couleur, postent beaucoup, et sont beaucoup moins à l’aise en coupe et chignon. Mais ils sont curieux d’apprendre. Ils ont conscience de leurs lacunes, et sont exigeants. Ils ont un niveau très élevé en couleur, je pense qu’on va rejoindre ce niveau en coupe. On va avoir de très belles années devant nous. » Il est indéniable que s’ils arrivent bientôt à concilier virtuosité technique, art de la coupe et conseil aiguisé, les pros de la coiffure auront tout pour se rendre (encore plus) indispensables !

25/06/24

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