Laurent Decreton : l'étoile filante
Le monde de la coiffure est sous le choc. Laurent Decreton, à la tête de deux beaux salons en Moselle, mais également artiste magnifique qui a écumé le monde et les scènes depuis plus de 20 ans, en tant que coiffeur ambassadeur L'Oréal Professionnel, nous a quittés, à 57 ans à peine.
C’est son cœur, fragile, qui a lâché, sinistre ironie pour lui qui l’avait si grand et si généreux. On dit toujours que ce sont les meilleurs qui partent en premier, et ce n’est pas toujours vrai. Dans son cas, les mots manquent pour dire à la fois sa gentillesse, légendaire, et son talent, tellement évident qu’il n’avait pas besoin d’en rajouter. Il faisait simple, et beau : il incarnait l'élégance.
Ce natif de Nancy ne se destinait initialement pas à la coiffure. C’est en donnant un coup de main, pendant deux jours, au salon de Jean-Paul Friedman, Meilleur Ouvrier de France, qu’il a le déclic, quasiment un coup de foudre pour le métier. A 19 ans, il abandonne ses études, et reprend tout à zéro, avec le cheveu, une matière inconnue qui le déstabilise un peu.
Sur scène, au dernier Style & Colour Trophy de L'Oréal Professionnel, le 2 février, à L'Elysée Montmartre © tomaderon
Arrivé à la coiffure sur le tard
Mais ce garçon intelligent, arrivé plus tard que les autres dans le secteur, s’obstine et persévère, pour devenir finalement le brillant élément que l’on sait, décrochant à 22 ans la Coupe de France, puis participant et remportant plusieurs fois, pendant 6 ans, les Coupes d’Europe et les Championnats du monde, avec le Cercle des arts et techniques (CAT), comme il le rappelait sur le site de l’Equipe de France de coiffure.
Entre temps, il aura rencontré Jean-Luc Minetti, l’immense directeur artistique d’Alexandre de Paris, avec lequel il travaille sur ses premiers défilés de Haute Couture. Puis il ouvre avec Jean-Paul Friedman sa propre Maison de Beauté (coiffure et esthétique) à Metz, à la fin des années 90, et ensuite le salon de Thionville, en 2000, qu’il confie à un jeune homme de 24 ans qui avait failli arrêter la coiffure quelques années auparavant : Domenico Toscano.
De Laurent, Domenico dit sobrement qu’il lui doit tout : « Je dois tout à Jean-Paul et Laurent, oui. Jean-Paul m’a aidé au niveau humain, m’a apporté sa sagesse ; Laurent m’a tout donné, professionnellement. L’envie, la motivation, la confiance en moi. C’est grâce à lui et à son soutien indéfectible que j’ai pu remporter le 1er Colour Trophy de L’Oréal Professionnel en France, en 2000. »
Sur scène, pour la Hair & Fashion Night de L'Oréal Professionnel, à Paris, le 19 juin 2018 © E.L.
Un manager hors pair
A Domenico Toscano, aujourd’hui à la tête d’un magnifique concept de deux salons à Metz (La Cour des hommes / Les Coiffeurs Créateurs), le duo a donné toutes les clés pour se reprendre, avancer et se dépasser, une méthode d’ailleurs appliquée avec tout le personnel de leur deux salons : « 21 collaborateurs, à l’époque, dans les années 2000 ». Et de préciser : « Laurent a proposé une nouvelle façon de manager, tout en générosité, en écoute. Il donnait la priorité à l’aspect humain, avec chaque membre de l’équipe. »
Même son de cloche à la Haute Coiffure Française, organisation artistique que Laurent Decreton a intégrée à la fin des années 1990, parallèlement à son entrée dans l'équipe L'Oréal Professionnel. Depuis 2010, il en avait pris la direction artistique.
Pour Nicolas Christ, ancien vice-président de la HCF et originaire de Strasbourg, « Laurent était quelqu’un d’extrêmement respectueux, talentueux. Intelligent, très posé. On nous disait : ‘’vous, les gens de l’Est, vous êtes sérieux, calmes…’’ C’est vrai qu’on réagissait de la même manière, jamais dans l’euphorie, toujours dans la retenue. Laurent n’aimait pas les conflits. Il arrivait avec intelligence et diplomatie à apaiser les tensions dans l’équipe, dans laquelle il y avait de forts tempéraments. En coulisses, ça chauffait, parfois ! Mais ses qualités humaines avaient fait de lui le directeur artistique idéal, il était parfait pour ce poste, tout en ayant lui-même un grand talent. »
Collection automne-hiver 2018-2019 © Giel Domen
Un artiste complet et brillant
Au niveau artistique, par sa formation classique et son palmarès exceptionnel sur le plan des concours, il était sans doute l’un des rares coiffeurs à pouvoir tout faire : coupe, coiffage, attaches, coiffure homme… avec un tropisme assez fort pour les chevelures rousses, qu'il aimait particulièrement et, ces dernières années, les volumes bouclés XXL.
Il pensait la silhouette sur le plan global, avec des shootings impeccables du cheveu au stylisme en passant par le maquillage, l’accessoirisation et le choix des modèles, sans doute une conséquence de son travail en backstage des défilés, mais aussi de sa grande ouverture culturelle. « Il lisait beaucoup, il faisait beaucoup de dessin, il allait dans tous les musées possibles et imaginables, pour le plaisir, pas pour y chercher l’inspiration, mais ça le nourrissait, forcément », poursuit Nicolas Christ.
Plus récemment, son compagnon Antoine lui avait ouvert d’autres horizons, et il s’était pris de passion pour la danse, et notamment pour Pina Bausch et Angelin Preljocaj. Cet homme qui n’était jamais sûr de lui et doutait toujours, qui demandait des avis, tout en finissant toujours par faire ce qu’il avait choisi de faire, selon Domenico Toscano, était d’une grande liberté, d’une grande curiosité.
Avec l'équipe de la Haute Coiffure Française, dont il était le directeur artistique depuis 2010 © D.R.
Il a malheureusement été fauché en plein vol. Derrière sa discrétion, sa pudeur, il créait du lien, il « portait » des équipes, dans ses salons, à la Haute Coiffure Française, il apportait du bonheur de par le monde, où des coiffeurs lui rendent aujourd’hui hommage, partout, de Calcutta à Milan. Il va être difficile pour nombre de ses collaborateurs, amis, proches, de trouver du sens désormais. Il le faudra, même si la période est particulièrement dure car, comme on dit, « the show must go on ». Il va inévitablement manquer, beaucoup. Il n’y a pas que son équipe et sa famille qui sont orphelines aujourd’hui. Nous sommes tous inconsolables.