"Des cheveux et des poils" : une expo historique !
(A gauche : création d'Alexis Ferrer, Wella Professionals Global Creative Artist. Postiche imprimé, 2021 © Rafa Andreu. A droite : création de Marisol Suarez. Perruque tressée © Katrin Backes)
C’est une expo historique que propose le musée des Arts décoratifs (MAD), en partenariat avec plusieurs acteurs du secteur professionnel (Wella Company est partenaire officiel, tandis que Bleu Libellule et le MCB by Beauté Sélection soutiennent également l'événement. Le célèbre Maître-Barbier parisien Alain a également prêté 75 objets divers de sa collection personnelle). Une expo qui mérite d’être parcourue plusieurs fois… et qu’on prenne le temps de l’explorer patiemment, en tout cas, que l'on soit professionnel de la mode ou de la beauté, ou simple visiteur, curieux et avide d’apprendre. Elle retrace en effet plus de 600 ans d’histoire des cheveux et de la pilosité dans le monde occidental, du XVème siècle à nos jours.
Cape l'Ange noir, par Murielle Kabile. Collection Hair Couture 2016 © E.L. pour Brunette
Elle montre comment la coiffure et l’agencement des poils humains participent depuis des siècles à la construction des apparences. Derrière l'apparence, le message véhiculé peut refléter des tendances de mode, parfois étonnantes, des tendances d'abord dictées par les cours royales, puis par l'industrie du cinéma (qu'il s'agisse des coiffures des vamps hollywoodiennes des années 40 et 50, du petit court mutin d'Audrey Hepburn, de la choucroute de Brigitte Bardot...) et enfin par l'industrie de la mode et du cheveu. Mais le "message" capillaire et pileux peut aussi traduire des engagements personnels, voire des convictions politiques...
Lisse, crantée ou permanentée, la coupe courte "à la garçonne" des années 20 et 30 est le symbole de l'émancipation féminine © E.L. pour Brunette
Notamment à partir du XXème siècle, qu’on pense à l’émancipation féminine reflété par les coupes courtes « à la garçonne » des années 20, au rasage - punition ultime - des femmes suspectées de collaboration après la Seconde Guerre mondiale, ou aux diverses contestations de la jeunesse dans le seconde moitié du XXème siècle (les cheveux longs des hippies des années 70, les crêtes des punks dans les années 80, les cheveux volontairement négligés voire sales du mouvement grunge dans les années 90...), ou encore au mouvement nappy, qui réhabilite les coupes afro et les cheveux frisés/crépus portés au naturel, des années 2010-2020 (un mouvement lui aussi né dans les années 70).
Tendances, création ou contestation
Adhésion à une mode, une conviction, une contestation, poils et cheveux peuvent être porteurs d’une multitude de significations, comme la féminité, la virilité ou la négligence. Les métiers et les savoir-faire d’hier et d’aujourd’hui sont également mis en avant avec leurs figures emblématiques : Léonard Autier (coiffeur favori de Marie-Antoinette), Monsieur Antoine, les sœurs Carita, Alexandre de Paris et plus récemment les coiffeurs studio. De grands noms de la mode contemporaine tels Alexander McQueen, Martin Margiela ou Josephus Thimister sont aussi présents, avec leurs réalisations spectaculaires faites à partir de ce matériau singulier qu’est le cheveu…
Veste-perruque par Martin Margiela, réalisée pour le défilé hommage à Sonia Rykiel en 2008 © E.L. pour Brunette
Divisé en 5 thématiques, le parcours de l’expo révèle que, dans les cultures gréco-romaine et judéo-chrétienne, le poil a longtemps été considéré comme un attribut de l’animal et de la sauvagerie. Ce qui explique pourquoi il a constamment dû être dompté pour éloigner la femme ou l’homme de la « bête ».
Modes et extravagances
La première partie de l’exposition s’ouvre sur l’étude de l’évolution de la coiffure féminine, véritable indicateur social et marqueur d’identité. Au Moyen Âge, obéissant au commandement de saint Paul, le port du voile s’impose aux femmes jusqu’au XVème siècle. Peu à peu, elles l’abandonnent au profit de coiffures extravagantes sans cesse renouvelées. Au XVIIème siècle, la coiffure à « l’hurluberlu » (chère à Madame de Sévigné) et « à la Fontange » (d’après le nom de la maîtresse de Louis XIV) sont emblématiques de véritables phénomènes de mode.
Coiffure pouf inspirée par la guerre d'Indépendance américaine (vers 1778) © E.L. pour Brunette
Vers 1770, les hautes coiffures dites « poufs » sont sans doute les plus extraordinaires des modes capillaires occidentales. Enfin, au 19ème siècle, les coiffures féminines – qu’elles soient inspirées de la Grèce antique, ou dite « à la girafe », en tortillon, ou « à la Pompadour » – sont tout autant alambiquées. Sur le site du musée, ou directement sur YouTube, ci-dessous, une vidéo propose deux véritables step by step de coiffures féminines de 1775 (sous Louis XVI), 1830 (Monarchie de Juillet), et d’une perruque masculine du milieu du XVIIIème siècle. Et c’est assez impressionnant…
Poil ou pas poil...
Après les visages glabres du Moyen Âge, un tournant s’opère vers 1520, à la Renaissance, avec l’apparition de la barbe comme symbole de courage et de force. Au début du XVIème siècle, les trois grands monarques d’Occident que sont François Ier, Henry VIII et Charles Quint sont jeunes, et ils portent tous la barbe. Une nouvelle « tendance » est née : elle est dès lors associée à l’esprit viril et guerrier.
Henry VIII d'Angleterre et François Ier remettent la barbe au goût du jour au XVIème siècle, en véritables prescripteurs de tendances... © E.L. pour Brunette
En revanche, dès les années 1630 jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, le visage imberbe fait son grand retour, associé à la perruque, et ils distinguent « l’homme de cour ». Les poils faciaux ne réapparaissent qu’au début du XIXème siècle, avec la moustache, les favoris et la barbe : ce siècle a été de loin le plus poilu de l’histoire des modes masculines. Une multitude de petits objets utilisés (fixe-moustaches, brosses, fer à friser, cire, etc.) témoigne de cet engouement pour les moustaches et les barbes.
Eugène Pascau, Fernand Forgues capitaine de l’Aviron Bayonnais, 1912 © A. Arnold / Musée Basque et de l’Histoire de Bayonne
Au cours du XXème siècle, l’alternance des visages barbus, moustachus et lisses se poursuit, jusqu’au retour de la barbe chez les Hipsters à la fin des années 1990. L’entretien de la pilosité chez ces jeunes urbains a fait renaitre le métier de barbier disparu depuis les années 1950. Aujourd’hui, les barbes fournies tendent à laisser la place à la moustache qui avait déserté les visages depuis les années 1970.
Le choix de conserver, d’éliminer, de dissimuler ou d’exhiber les poils des autres parties du corps est aussi un sujet d’histoire que l’exposition traite par le biais de la représentation des corps nus dans les arts visuels et les témoignages écrits. La pilosité est rare, voire absente de la peinture ancienne. Le corps glabre est synonyme de corps antique et idéalisé, alors que le corps velu est associé à la virilité, voire la trivialité. Seuls les adeptes de sports virils telle la boxe et le rugby, mais aussi les illustrations érotiques ou les gravures médicales montrent des individus couverts de poils.
Quand Charlie Le Mindu joue avec les différentes facettes du poil... © E.L. pour Brunette
Vers 1910-1920, lorsque les corps féminins se découvrent, les réclames dans les magazines vantent les mérites des crèmes dépilatoires et des tondeuses plus performantes pour les éliminer. Si dans les années 1970, la pilosité du corps masculin, et à travers elle une certaine idée de la virilité, s’affiche sans complexe, cinquante ans plus tard, l’abondance des poils n’est plus au goût du jour. Depuis 2001, les sportifs se faisant photographier nus pour les calendriers comme celui Les Dieux du stade ont une pilosité rigoureusement maîtrisée.
Entre nature et artifice
Se coiffer est un acte intime : une dame bien née ne pouvait ainsi se montrer en public les cheveux « défaits ». Un tableau de Franz-Xaver Winterhalter, daté de 1864, représentant l’impératrice Sissi en robe de chambre et les cheveux dénoués, était strictement réservé au cabinet privé de son époux François-Joseph. Et c’est parce que Louis XIV est devenu chauve très jeune qu’il a adopté la perruque dite de « cheveux vifs », et qu’il l’a imposée à la cour…
L'impératrice Sissi aux cheveux défaits, par Eberhard Riegele © E.L. pour Brunette
Au XXème siècle, Andy Warhol connait la même mésaventure : la perruque qu’il porte pour cacher sa calvitie sera érigée en attribut iconique de l’artiste. De nos jours, postiches et perruques sont utilisées dans la haute couture, lors des défilés de mode ou, bien entendu, pour pallier une perte de cheveux.
Les couleurs naturelles des cheveux sont, on le sait, porteuses de symboliques voire de clichés... Le blond est la couleur de la candeur et de l’enfance, mais aussi de l'éternel féminin. Le roux est attribué aux femmes sulfureuses, aux sorcières et à quelques célèbres femmes de scène, même si l’esthétique de l’Art Nouveau, au début du XXème siècle, tend à le réhabiliter au travers de femmes sensuelles et plantureuses, de véritables muses.
Sarah Bernhardt par Alfons Mucha © D.R.
Quant aux cheveux bruns, ils trahiraient un tempérament bien trempé. Des colorations expérimentales du XIXème siècle jusqu’aux teintures plus certaines dès les années 1920 : l’histoire de la coloration n’est pas oubliée. Le travail du coiffeur Alexis Ferrer qui réalise des impressions digitales sur de vrais cheveux est également présenté (voir ci-dessus, photo en introduction de l'article).
Métiers et savoir-faire
L’exposition dévoile aussi les différents métiers du poil : barbiers, barbiers-chirurgiens, étuvistes, perruquiers, coiffeurs de dames, etc., à travers des documents d’archives et une foule de petits objets : enseignes, outils, produits divers et les étonnantes machines à permanentes et les séchoirs des années 1920.
Salon de coiffure Chez Antoine à Paris, 1932 © D.R.
En 1945, la création de la Haute Coiffure Française élève le métier au rang de discipline artistique et d’un savoir-faire français. La coiffure du XXème siècle est marquée par Guillaume, Antoine, Rosy et Maria Carita, Alexandre de Paris, qui coiffent princesses et célébrités. De nos jours, cette coiffure virtuose s’exprime lors des défilés des maisons de mode, dans les magazines, mais aussi et surtout à l'occasion de shows conçus par et pour les coiffeurs professionnels.
Parure réalisée par Jean-Baptiste Santens pour la Haute Coiffure Française, septembre 2022 © E.L. pour Brunette
Présents à l’exposition à travers certaines de leurs créations, les coiffeurs studio Sam McKnight, Nicolas Jurnjack ou Charlie Le Mindu réalisent des coiffures extraordinaires pour les top-models, les magazines et les personnalités du show-business.
Regards sur un siècle chevelu
L'exposition évoque aussi les coiffures iconiques des XXème et XXIème siècles : le chignon 1900, la coupe à la garçonne des années 1920, les cheveux permanentés et crantés des années 1930, la pixie et la choucroute des années 1960, les cheveux longs des années 1970, les coiffures volumineuses des années 1980, les dégradés et les mèches blondes des années 1990, sans oublier le nappy hair.
Tempera perming device marketing materials, Wella Tempera, 1952 © D.R.
L’agencement des cheveux sous une forme particulière peut révéler l’appartenance à un groupe et manifester une expression politique, culturelle en opposition avec la société et l’ordre établi. Plus idéologiques qu’esthétiques, la crête iroquoise des punks, les cheveux négligés du mouvement grunge ou les crânes rasés des skinheads sont des moments forts de créativité capillaire.
Dans un autre esprit, et même si porter les cheveux d’un autre peut revêtir une dimension inquiétante, quelques créateurs choisissent de transcender cette matière si familière en objet de mode. C’est le cas de créateurs contemporains comme Martin Margiela, Josephus Thimister et Jeanne Vicerial. La question de l’identité, traitée de manière légère ou plus profonde, est souvent au cœur des raisonnements, que les cheveux soient vrais ou factices... Du Moyen-Âge à nos jours, une expo "touffue" et riche d'enseignements !
Créations capillaires de Nicolas Jurnjack pour différents défilés © E.L. pour Brunette
Pour cette exposition « Des cheveux et des poils », le musée des Arts décoratifs a bénéficié de prêts exceptionnels du château de Versailles, du musée des Beaux- Arts d’Orléans, du musée du Louvre et du Musée d’Orsay.