"A poil !" : le cri de colère des coiffeurs
#moncoiffeur à poil ? C’est un hashtag qui fait parler. Et c’est bien le but. Montrer, traduire en image le désarroi des coiffeurs, commerces de proximité jugés « non essentiels » et confrontés pour la 2ème fois au confinement du pays. Ce qui se traduit pour eux par une fermeture administrative éminemment injuste et incohérente.
Injuste parce que les professionnels du cheveu ont investi en temps et en ressources pour mettre au point un protocole sanitaire qui s’est jusqu’ici révélé parfaitement efficace, un protocole « dur » (port du masque impératif pour eux toute la journée, espacement des fauteuils et perte de clientèle, espacement des prestations pour cause de désinfection et perte de chiffre…).
Incohérent parce que, comme tout le monde le souligne, on tolère l’ouverture des grandes surfaces – qui ont les reins plus solides que le petit commerce – et pas celle des magasins de proximité – qui ne sont pas plus dangereux, d’un point de vue sanitaire mais qui, eux, sont en danger de mort.
Une situation insupportable, qui a donné l’idée au coiffeur havrais Jean-Charles Gérard de poster une photo de lui nu, le 4 novembre, sur Facebook (sur la page de son salon, The Torture Garden), pour signifier que les coiffeurs, avec cette deuxième fermeture, injustifiée et aberrante, étaient littéralement mis « à poil », et qu’il ne donnait pas cher de leur peau.
L'idée avait déjà germé, dès le 2 novembre, chez un photographe, Arnaud Gras, patron d’un studio photos dans l’Oise. Il s'était mis à nu sur Facebook, avec le panneau : « Quitte à être mis à poil par le gouvernement, je préfère le faire moi-même. #Artisans : première entreprise de France ».
Se mettre à nu avant de finir "à poil"
Le coiffeur Jean-Charles Gérard, lui, a dû se séparer d’une de ses employées en période d’essai, n’ayant aucune visibilité concernant l’avenir. L’aide aux gérants des salons de coiffure ayant par ailleurs jusqu’ici été très limitée, elle ne couvre pas forcément leurs charges fixes mensuelles. Et, s’ils finissent par mettre la clé sous la porte, bon nombre de gérants ne toucheront pas le chômage.
Rejoint par des centaines de coiffeurs, Jean-Charles a vu son post partagé, à ce jour, plus de 4700 fois. Parce que son idée est simple, parlante. Que chacun a pu se l’approprier, mise en scène à l’appui, parfois. Les coiffeurs qui ont décidé d’embrayer le pas et de se mettre « à nu », eux aussi, ne font pas dans la provoc’ gratuite.
De haut en bas et de gauche à droite (noms des pages Facebook) : Mickaël Meyer, Muriel Jolivet, Emilie Boireau Gandoin, Elite for Men, Hair salon by Fanny, A l’Image de soi, L’Atelier coiffure par Mikaël /Charlotte Photographie, Le studio, Cédric Moreau © D.R.
C’est un cri d'alarme, un coup d'éclat comme ils en font trop peu, eux qui sont des travailleurs acharnés, discrets, et qui respectent rigoureusement les règles. Mais précisément : c’est parce qu’ils ont rigoureusement respecté le 1er confinement, parce qu’ils ont appliqué le protocole sanitaire à la lettre, qu’ils ont été de bout en bout irréprochables que le ras-le- bol des coiffeurs est aussi énorme, et qu’il fallait le rendre visible.
Le rôle stratégique des coiffeurs et des artisans
Pas de considération, pas de compréhension de leur rôle-clé dans l'économie (2ème secteur de l'artisanat -lui-même 1er pourvoyeur d’emplois en France-, 85 000 salons, 180 000 actifs, 6 milliards de chiffre d'affaires, pour 90% d’indépendants*...), dans le maillage du territoire et dans le bien-être de tous au quotidien.
Alors, dans une société qui privilégie l’image, à l’heure où, pour être entendu, il faut avant tout être vu, cette idée choc est une intuition lumineuse. Elle se traduit par des clichés drôles, durs ou poignants mais, toujours, dignes. Il faut savoir aussi que beaucoup ont forcé leur nature, et que parfois ce sont ceux qui étaient le plus pudiques qui ont livré les visuels les plus touchants.
Gwendoline Talbourdel, photographe en Loire-Atlantique © Gwendoline Talbourdel. Ce sont des photographes qui ont, les premiers, pensé à se dévêtir pour montrer leur ras-le bol
Je ne relaye évidemment qu’un montage très réduit et non exhaustif de cette énorme vague de photos, l’idée étant surtout de rendre compte de la colère et du ras-le-bol très légitime de la profession. Je rajouterais qu’à l’heure où tout le monde est remonté contre Amazon, le futur Black Friday, et se mobilise pour son commerce de quartier, on évoque avec force les libraires (et c’est très bien), les fleuristes, les magasins de jouets etc., mais jamais les coiffeurs.
Un secteur méconnu et mal défendu
Comme si tout allait bien pour eux, comme s’ils étaient aimés, appréciés, mais un peu transparents quand même, comme s’ils n’étaient pas concernés par la problématique des produits essentiels / non essentiels, etc. Et que ça allait bien se passer, pour eux…
Les coiffeurs sont à la fois des artisans et des commerçants, du coup ils sont coincés entre deux perceptions : ils ne sont pas aussi mal lotis que les restaurateurs (qui risquent de ne pouvoir rouvrir que mi-janvier, au mépris des règles élémentaires de pragmatisme que le gouvernement affirme suivre : a-t-il déjà les chiffres de contamination de décembre, de janvier ?), mais ils sont bien souvent oubliés quand on parle du petit commerce.
Une nouvelle création visuelle du coiffeur havrais Jean-Charles Gérard © D.R.
La cacophonie gouvernementale du début de confinement sur l’exercice autorisé ou non de la coiffure à domicile l’a malheureusement une nouvelle fois prouvé : les pouvoirs publics, qui ne connaissent pas le secteur, et ne s’y intéressent guère, n’avaient tout simplement pas réalisé qu’ils créaient de fait une concurrence déloyale…
S'adapter aux moyens de pression de l'époque : l'image
Alors, fallait-il en arriver là, et inciter des artisans à se déshabiller devant un objectif photo ? La réponse est, évidemment… oui. Sous réserve de ne forcer personne et, surtout, d’être extrêmement vigilant quant à l’exposition de ces photos sur les réseaux sociaux, leur cadrage, leur mise en contexte, etc. Beaucoup ont bravé leurs limites, leur pudeur, leurs principes, peut-être, pour s’adapter aux moyens d'expression et de pression de l'époque : l'image.
Mais cela a porté ses fruits, de la presse régionale à France Info ou BFM (quelques liens ci-dessous). Espérons surtout que cela se traduise, au plus vite, par la réouverture des salons. Et de tous les commerces et services soumis à l'arbitraire le plus complet, dans le cadre de ce deuxième confinement surréaliste.
*Source : Unec (chiffres 2018).Article France Info
Article France 3
Article L'Aisne Nouvelle (Saint-Quentin)
Article le Républicain Lorrain